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Le sexe des bits

jeudi 13 novembre 2014, par Scapin.

Dans le numéro d’octobre 2014 du mensuel Alternative libertaire, Irène, amie d’AL, signe un article intitulé Alice au pays de l’informatique. Un article qui prétend analyser et dénoncer l’enseignement annoncé du code à l’école. Un article qui surtout superpose les clichés, y compris sexistes et réactionnaires, sans traiter le sujet !

Un premier constat s’impose. Il y a escroquerie sur la marchandise. Alors que l’article annonce « porter une regard féministe » sur l’annonce de l’introduction de l’« enseignement du code à l’école », il ne consacre en réalité que moins d’un paragraphe réellement et spécifiquement à ce sujet.

Mais alors de quoi parle donc cet article ?

Il énonce deux théories pour le moins étonnantes :

  • D’une part, la technologie en générale (et donc l’informatique en particulier) serait par nature sexiste, porteuse de division patriarcale, et antisociale.
  • D’autre part, les femmes seraient « par nature » nulles dans les domaines technologiques.

Une conception luddiste de la technologie

L’article dénonce en soi la technologie et le progrès technique, sous prétexte que « les rapports sociaux de sexe se sont doublés de rapports sociaux technologiques ». La dénonciation est pour le moins radicale puisqu’elle fait remonter ces rapports technologiques... à la préhistoire et aux sociétés de chasseurs-cueilleurs ! Le progrès technologique est présenté de manière manichéenne et totalement négative, qu’il s’agisse de tailler des silex, d’automatiser les tâches répétitives ou pénibles ou de technologies de l’information. En bref, une vision primitiviste (c’est-à-dire réactionnaire) qui confond allègrement lutte (légitime) contre le productivisme capitaliste, et condamnation par principe des technologies dès lors qu’elles sont utilisées et/ou récupérées par le capitalisme ou un système d’aliénation.

La thèse de l’article ignore (ou fait mine d’ignorer) que toute technologie est porteuse d’un potentiel émancipateur équivalent à son potentiel d’aliénation. Dans la perspective de l’abolition du salariat et de l’émancipation du prolétariat, la réappropriation des technologies est un élément central. L’auteure d’Alice au pays de l’informatique relira utilement le Projet communiste libertaire, et tout particulièrement la partie ’Le contrôle et la transformation des technologies (§ II.I.6 de la partie Projet de société anti-autoritaire) ou le Manifeste pour une Alternative libertaire quand il indique : « il ne s’agit pas de tomber dans le mythe d’une nature »pure« détruite par l’homme. L’homme, ses activités créatrices et productives font partie de la nature ».

La technologie, bien loin d’être un frein, est un appui pour l’abolition du salariat, l’émancipation des travailleurs et des travailleuses. Elle offre des perspectives pour alléger le travail de production et ainsi libérer les travailleurs et travailleuses. L’article paru dans Alternative libertaire d’octobre 2014, quand à lui, refuse par principe tout allègement du fardeau productif pour les travailleurs et travailleuses : « les relations entre les travailleurs et les machines depuis les débuts de l’industrialisation ne sont pas toujours positives, surtout pour les ouvriers. L’histoire du capitalisme industriel est régulièrement marquée par la destruction d’emplois manuels. » Certes, mais en quoi les oppositions conjoncturelles entre forces productrices et détournement opportuniste des progrès techniques par le capitalisme justifient-elles en quoi que ce soit de rejeter de facto l’enseignement de ces technologies, en particulier aux femmes ? L’article relève du sophisme : l’argumentation manque singulièrement de construction logique (ce qui aurait peut-être été amélioré si l’auteure avait eu un enseignement en informatique... donc en logique formelle).

Mais pourquoi tant de haine à l’encontre des femmes ?

La deuxième thèse de l’article est encore plus surprenante. Les femmes sont décrites comme « inférieures » (!) vis-à-vis de la technologie. L’article enchaine affirmations péremptoires et non étayées : il est admis que les hommes entretiennent un rapport spécifique à la technologie ; et supputations gratuites : l’introduction de l’enseignement de l’informatique à l’école risque sans doute de renforcer cet état de fait (i.e. le fait que les garçons « rafleraient la mise »). Donc les femmes seraient par essence vouées à ne rien comprendre à l’informatique ?

Ces affirmations s’appuient sur des affirmations sociologiques concernant le monde de l’informatique qui feront juste éclater de rire n’importe qui y travaillant : depuis les années 1980, l’image sociale de la profession d’informaticien s’est masculinisée. Or la réalité est exactement inverse ! D’une image purement masculine dans les années 80, le monde informatique s’est au contraire progressivement ouvert. Certes, il reste majoritairement masculin, mais la réalité de l’évolution sociologique de la profession contredit totalement l’article. De plus, le fait que la profession soit encore majoritairement masculine est un argument bien faible. Le militantisme d’extrême-gauche aussi est majoritairement masculin, ce n’est pour autant qu’il faut le considérer comme discrédité !

En fait, tout l’article regorge de défiance vis-à-vis de la capacité des femmes à faire de l’informatique, à en maitriser la technologie et les méthodes ! Et au-delà de l’informatique (sujet qui n’est qu’effleuré dans l’article...), elles seraient nulles en technologie. Voilà un « regard féministe » pour le moins lourdement sexiste !

Et l’éducation comme émancipation, dans tout ça ?

Enfin, il faut aussi s’interroger sur ce dont l’article ne parle pas.

En particulier, l’article ne dit rien sur le pouvoir émancipeur de l’enseignement. Les technologies de la communication et de l’information, les technologies numériques, deviennent de plus en plus omniprésentes dans nos vies. Dans ce contexte, il est justement indispensable de se saisir de ces technologies, de les comprendre et les maitriser pour ne pas en être esclaves. L’apprentissage de la programmation est une étape utile pour sortir d’une position de spectateurs et spectatrices passifs face aux technologies pour passer à une position d’acteurs et d’actrices, en capacité d’exercer un regard critique voire un contrôle sur les outils à leurs dispositions.

Le rejet de l’enseignement de la programmation est donc une manière de promotion de la soumission à cette technologie, un renoncement et une acceptation de l’aliénation. Au contraire de l’auteure d’Alice..., nous défendrons plutôt un enseignement renforcé de toutes les facettes des technologies de l’information, ne se limitant pas à la programmation mais intégrant aussi, par exemple, les bases des technologies de réseau de communication...

Voir en ligne : L’article Alice au pays de l’informatique sur le site fédéral d’Alternative libertaire

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L’article Alice au pays de l’informatique sur le site fédéral d’Alternative libertaire

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